Travailleurs à députés : vous êtes soit de notre côté, soit de celui du lobby des riches entreprises
Par Bea Bruske, présidente du Congrès du travail du Canada tel que publié dans iPolitics*
Le chef du Parti conservateur Pierre Poilievre se prononce haut et fort sur de très nombreuses questions. Cela rend assourdissant son silence quant à savoir s’il votera pour ou contre le projet de loi C-58 qui interdirait le recours aux travailleurs de remplacement au cours d’une grève ou d’un lock-out.
Après avoir essayé de charmer les travailleurs et travailleuses pendant des mois avec des propos sympathiques au sujet des défis que les gens doivent relever, M. Poilievre subit actuellement une épreuve importante. Va-t-il appuyer les travailleurs et travailleuses du Canada ou leur tourner le dos ainsi qu’à leurs familles? Va-t-il pratiquer ce qu’il prêche en votant?
Le NPD, le Bloc Québécois et le Parti libéral se sont tous engagés à appuyer le projet de loi en question. En fait, les députés du NPD et du Bloc collaborent avec nous depuis des décennies pour tenter de faire adopter un projet de loi anti-briseurs de grève.
On fait appel aux briseurs de grève, parfois appelés travailleurs ou travailleuses « de remplacement », pendant un lock-out ou une grève pour qu’ils occupent les emplois des membres habituels du personnel. Cela intensifie les conflits de travail et empoisonne nos milieux de travail. Ce qui aurait pu être un conflit court réglé à la table de négociation devient une lutte destructrice et prolongée.
Je crois que nous savons pourquoi les conservateurs sont si indécis. Le patronat du Canada dépense gros en lobbying contre le projet de loi. Et ce n’est pas étonnant puisque les riches entreprises ont actuellement le gros bout du bâton et veulent à tout prix que cela ne change pas.
Ce que le puissant lobby patronal ne veut pas vous dire, c’est que le Québec a une loi anti-briseurs de grève depuis plus de 45 ans et que la C.-B. en a une depuis 30 ans. Il ne veut pas que vous sachiez que ces lois et des lois semblables adoptées dans le monde entier raccourcissent les arrêts de travail, réduisent les effets dommageables d’envenimement des conflits qu’a le recours aux briseurs de grève et améliorent l’équilibre des relations de travail.
Les entreprises s’opposant au projet de loi veulent conserver le pouvoir d’obliger leur personnel à accepter de mauvais contrats de travail uniquement pour garder leur emploi. Cela fait partie de la course vers le fond destinée à opposer les travailleurs et travailleuses les uns aux autres.
Le fait est que les entreprises exercent actuellement trop de pouvoir sur les travailleurs et travailleuses. Cela a pour effets que les salaires accusent un retard par rapport à l’inflation, que les avantages sociaux sont réduits et que les conditions de travail empirent. Entre-temps, l’augmentation des profits des entreprises est astronomique.
Une analyse établie en 2022 par Jim Stanford révèle que les bénéfices après impôt des entreprises ont atteint une part du PIB plus élevée que jamais pendant le premier trimestre de cette année-là. Pendant que les profits des entreprises montaient en flèche, les salaires accusaient de plus en plus de retard par rapport à l’inflation. Selon un récent rapport de Statistique Canada, les 20 % des personnes les plus riches du Canada contrôlent plus des deux tiers de la richesse dans ce pays alors que les 20 % des personnes ayant les revenus les plus bas comptent pour moins de 3 % de la richesse.
L’adoption d’une loi anti-briseurs de grève peut enfin commencer à équilibrer le rapport de forces. Cependant, pour qu’elle ait cet effet, elle doit être forte et efficace.
Or, pour être efficace, la loi doit prévoir de forts mécanismes de mise en application et être mise en vigueur rapidement, non pas une année et demie après son adoption. Pour défendre les droits des travailleurs et travailleuses, la loi doit s’appliquer à tout le travail accompli normalement par les membres de l’unité de négociation. Afin qu’elle puisse être appliquée équitablement, la loi ne doit pas définir les services essentiels de manière trop large de telle sorte qu’elle priverait des travailleurs et travailleuses de leur droit de grève.
Les travailleurs et travailleuses s’attendent maintenant à ce que les députées et députés fédéraux transforment leurs propos sympathiques en action concrète. Les syndicats du Canada sont prêts à travailler avec tous les partis au renforcement du projet de loi et à son adoption rapide.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : au moment de la prochaine élection, les travailleurs et travailleuses du Canada se souviendront de quiconque a cédé au lobby des riches entreprises et tenté de retarder ou d’affaiblir cette importante nouvelle loi.
Bea Bruske est la présidente du Congrès du travail du Canada. Vous pouvez la suivre sur Twitter @PresidentCLC
*Certains des liens ne sont disponibles qu’en anglais