Les leçons de la pandémie doivent donner lieu à des changements pour les travailleuses et les travailleurs de première ligne
Il est de la plus haute importance que les leçons que nous avons tirées de la pandémie nous aident à bâtir un avenir meilleur pour les personnes vivant au Canada.
La crise a mis en évidence certaines des grandes inégalités qui existent dans ce pays. À mesure que nous nous dirigeons vers une relance, il est clair que nous devons renforcer le filet de sécurité social et mettre notre pays à l’abri des désastres.
La COVID-19 a dévoilé et accru l’inégalité de notre marché du travail, et la relance nous donne l’occasion de rectifier les iniquités en question.
Les personnes les plus durement frappées par la pandémie de COVID-19 sont celles qui étaient en difficulté avant même le début de celle-ci et qui n’avaient aucun moyen d’amortir ses effets. Au pic du confinement, 5,5 millions de personnes ont senti les effets sur l’économie – plus de 3 millions ont perdu leur emploi et 2,5 millions ont vu diminuer leurs heures de travail.
Les travailleurs et les travailleuses qui ont non seulement subi les plus fortes répercussions sur leur milieu de travail mais aussi eu la plus forte probabilité d’infection sont les personnes racialisées, immigrantes, réfugiées et migrantes. Ce sont les femmes qui ont éprouvé le plus de difficultés parce qu’elles accomplissent la majeure partie du travail non rémunéré de prestation de soins aux enfants qui n’allaient pas à l’école et à leurs parents âgés.
À l’occasion de la Journée mondiale pour le travail décent, le 7 octobre, les syndicats du Canada reconnaissent les travailleurs et travailleuses de première ligne qui ont mis leur propre santé en danger et les personnes qui ont subi le gros des effets négatifs de la pandémie elle-même.
Le fait que ces travailleurs et travailleuses aient été les plus durement frappés des points de vue sanitaire et économique n’est pas une coïncidence. Bien que les causes de l’iniquité soient complexes, elles sont souvent ancrées dans des facteurs sociaux et structurels tels que le racisme systémique.
Depuis des décennies, les syndicats du Canada incitent Statistique Canada à commencer à recueillir et à publier des données sur la race dans son Enquête sur la population active qui paraît mensuellement. Il aura fallu une pandémie pour enfin mettre en évidence la nécessité de ce changement. Des données sur la population active par race et par groupe ethnique ont été publiées pour la première fois en juillet 2020.
Ces données ont confirmé ce que les travailleurs et travailleuses racialisés et immigrants vivent au quotidien : des taux de chômage plus élevés et des salaires plus bas.
Les travailleurs racialisés et immigrants et les travailleuses sont surreprésentés parmi les personnes accomplissant du travail critique, qui a tendance à être peu rémunérateur et sous-évalué. Près d’un quart des Canadiennes et Canadiens d’ascendance philippine et un cinquième des Noirs canadiens travaillent dans le secteur de la santé et des services sociaux, ce qui les expose plus que les autres à la COVID-19, et ils gagnent en outre beaucoup moins.
En juillet, les personnes travaillant dans le secteur en question qui n’étaient pas racialisées gagnaient en moyenne 29,90 $ l’heure alors que leurs collègues philippins ou noirs gagnaient de 23,36 $ à 26,86 $. L’écart salarial est encore plus grand dans le cas des personnes dont les identités se recoupent, la femme racialisée gagnant moins que l’homme racialisé. De plus, les personnes racialisées et migrantes sont surreprésentées dans les professions qui se pratiquent dans des milieux où la distanciation sociale est difficile, comme les usines et les abattoirs.
La crise a engendré une vraie reconnaissance envers bon nombre des travailleurs et travailleuses en question qui ont subitement été jugés cruciaux. Nous avons l’occasion de leur rendre enfin justice en prenant des mesures permettant de lutter efficacement contre l’inégalité.
Nous devons commencer par nous assurer que le salaire minimum dans chaque province soit un salaire suffisant pour vivre. Le gouvernement fédéral devrait établir un salaire minimum fédéral et collaborer avec les provinces pour hausser les minimums provinciaux. En même temps, nous devons nous assurer que tous les travailleurs et les travailleuses aient accès à des congés de maladie payés. Faute de ces congés, les gens ne pourront pas s’isoler parce qu’ils craindront de perdre des revenus.
Le gouvernement fédéral a pris une mesure importante en donnant accès à 10 jours de congé de maladie payés dans le cadre de la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique (PCRÉ de maladie), mais les provinces doivent lui emboîter le pas en créant leurs propres congés de maladie payés.
Bien sûr, un des meilleurs moyens d’améliorer les conditions de travail et de combattre les iniquités telles que les écarts salariaux consiste à donner aux travailleurs et travailleuses un mot à dire en milieu de travail en leur permettant de se syndiquer. Depuis le début de la pandémie, il y a eu une augmentation du nombre des travailleurs et travailleuses qui ont commencé à se syndiquer seuls ou en demandant l’aide d’un syndicat existant.
Bien que de nombreux travailleurs et travailleuses soient appelés à relever les défis les plus difficiles de leur vie au cours de la pandémie, la crise a habilité les travailleurs et les travailleuses à se prononcer et à défendre leurs droits. Elle a ouvert les yeux des gens sur la valeur de l’action collective et du fait d’avoir une voix collective.
Cependant, la réalité est que les lois sur le travail qui fixent les règles d’établissement de syndicats et d’adhésion à des syndicats n’ont pas évolué au même rythme que les milieux de travail. De plus, les entreprises et les employeurs ont trouvé de nouveaux moyens et ont accru leur capacité de les contourner. On estime que 8,2 % des Canadiennes et Canadiens ayant un emploi travaillent dans l’économie à la demande.
Ces personnes sont plus susceptibles d’être des femmes et des nouveaux venus au Canada.
Selon les lois en vigueur, les travailleurs et les travailleuses se heurtent à d’importants obstacles à leur syndicalisation, particulièrement s’ils ont des emplois atypiques comme les emplois à la demande, à la pige ou à contrat. Dans certaines provinces, les travailleurs et travailleuses agricoles et domestiques, dont une très forte proportion sont des personnes migrantes et racialisées, sont encore exclus du champ d’application de la législation fondamentale sur le travail.
Nous devons mettre les lois à jour pour qu’elles témoignent des réalités du 21e siècle, notamment en voyant à ce qu’aucun travailleur ou travailleuse ne soit privé de son droit fondamental de se syndiquer et de participer à la négociation collective.
En outre, les mesures temporaires prises pour accorder l’accès à l’AE aux personnes travaillant à la demande et occupant d’autres emplois atypiques devraient être rendues permanentes.
Le travail de travailleuses et travailleurs temporaires migrants peu qualifiés a fait les grands titres de l’actualité pendant la crise. Ces personnes accomplissent un travail critique dans la chaîne d’approvisionnement mais n’ont que peu d’options pour devenir des résidents permanents ou des citoyens du Canada.
Nous devons reconnaître que bon nombre des personnes mises à pied depuis le début de la pandémie ne réintègreront pas leurs emplois. La création d’emplois, y compris la formation professionnelle, est de la plus haute importance.
Nous pouvons procéder à une planification stratégique et profiter de l’occasion pour investir dans l’infrastructure sociale, matérielle et verte. Cela créerait des emplois décents syndiqués dans les secteurs des services de santé et des soins de longue durée, des services universels de garde à l’enfance, des énergies renouvelables et des transports en commun, et dans d’autres secteurs qui appuient notre transition vers une économie verte et juste.
Les syndicats du Canada revendiquent la création de meilleurs emplois remplaçant ceux que nous avons perdus, le renforcement des soins de santé publics, l’intégration à ceux-ci d’une assurance-médicaments, des soins de santé mentale et des soins de longue durée, et l’établissement d’un filet de sécurité social robuste qui pourra résister à la prochaine crise.
Pendant que nous nous concentrons sur la relance de l’économie, nous avons l’occasion d’améliorer la vie des travailleurs et travailleuses. Nous devons nous assurer que les droits de la personne soient au cœur de tout le travail que nous accomplissons, et que les problèmes auxquels nous nous attaquons soient examinés dans l’optique du genre et de l’équité. Nous devons reconnaître que les obstacles systémiques, structurels et institutionnels créent, renforcent et maintiennent l’inégalité sociale et économique à laquelle les communautés marginalisées font face.
La pandémie a mis cruellement en évidence les iniquités que vivent les personnes autochtones, noires et de couleur, y compris les personnes immigrantes racialisées, nouvellement arrivées au Canada et migrantes et les personnes ayant un statut d’immigration précaire. Les femmes sont particulièrement affectées.
En plus de tout cela, nous avons assisté à des manifestations d’inquiétude et à des protestations justifiées au sujet du racisme et de la discrimination systémiques à l’égard de bien des groupes de notre société, y compris la troublante augmentation du racisme antiasiatique et la montée du militantisme contre le racisme antinoir et d’autres formes d’oppression.
Malgré ce bouleversement, il existe des possibilités. Le Canada est bien placé pour réparer ce qui est nettement brisé dans nos communautés et pour nous permettre d’aller de l’avant tous ensemble.