Emplois, économie et environnement

Analyse du budget fédéral de 2015

24 avril 2015

Contexte

Le budget de 2015 colle de près au scénario que le gouvernement fédéral met en œuvre depuis sept ans et qui consiste à comprimer les dépenses, à restreindre l’investissement et à accorder des allégements d’impôt dont bénéficient principalement les riches du Canada.  Le budget de 2015 a été annoncé comme un retour à l’équilibre après 7 années de déficits aggravés par de massives réductions d’impôt qui ont affaibli la reprise déjà lente et ajouté environ 150 milliards de dollars à la dette fédérale.  Le budget de cette année couronne de multiples vagues de compressions des dépenses et six années de diminution des dépenses de programme directes qui ont commencé au dépôt du budget de 2010.  Le montant de la réduction des dépenses a atteint 14,5 milliards de dollars par année en 2014-2015 et près de 90 milliards de dollars au total depuis 2010.

Les réductions d’impôt très marquées et de vaste portée que le gouvernement conservateur s’est obstiné à accorder ont ramené les recettes fédérales à un niveau considérablement inférieur à celui des années 1990.  Au cours des près de 10 années qui se sont écoulées entre le dépôt du budget de 2006 et l’adoption des « allégements fiscaux pour les familles » accordés en octobre 2014, les mesures fiscales des Conservateurs ont réduit les recettes fédérales de 330 milliards de dollars.  C’est près de 17 % du PIB annuel et plus de la moitié de la dette fédérale totale.  Les allégements d’impôt accordés aux entreprises comptent pour 72 milliards de dollars du total des pertes de recettes causées par les mesures fiscales des Conservateurs.  Si les impôts fédéraux rapportaient la même proportion de l’économie qu’en l’an 2000, les recettes fédérales seraient supérieures de 50 milliards de dollars.  Les coupures qu’il a censément fallu pour équilibrer le budget n’auraient pas été nécessaires.

Principales dépenses dans le budget de 2015

Plusieurs des principales dépenses prévues par le budget de 2015 ont été annoncées vers la fin de 2014 ou ont filtré avant le 21 avril 2015.  L’instauration du fractionnement du revenu de pension, la bonification de la Prestation universelle pour la garde d’enfants (PUGE) et la hausse de la déduction pour frais de garde d’enfants, toutes des mesures annoncés en octobre 2014, ont été confirmées dans le budget de 2015.  Le coût atteindra un estomaquant 27 milliards de dollars en 2019-2020, la majeure partie étant attribuable à la bonification de la PUGE.  Presque tous les avantages du fractionnement du revenu de pension seront tirés par les 15 % des familles canadiennes dont le revenu est le plus élevé, et la moitié des bénéficiaires de la PUGE sont des familles qui ne paient pas de frais de garde d’enfants.

La limite de cotisation annuelle aux comptes d’épargne libres d’impôt (CELI) passera de 5 500 $ à 10 000 $, ce qui réduira les recettes fédérales d’environ 1,1 milliard de dollars par année à partir de 2019-2020.  Même si la limite actuelle de 5 500 $ était maintenue, les CELI pourraient coûter jusqu’à 15,5 milliards de dollars par année au gouvernement fédéral et 8 milliards de dollars aux provinces quand le programme aura atteint sa maturité dans 40 à 50 ans. Le fait de doubler la limite accroîtra ce coût, presque exclusivement dans l’intérêt des personnes dont les revenus sont les plus élevés.

Le budget confirme en outre un investissement de 5,8 milliards de dollars dans l’infrastructure fédérale échelonné sur une période de 6 ans commençant en 2014-2015.  Le ministre des Finances Oliver a annoncé une affectation supplémentaire aux transports en commun municipaux d’à peine 250 millions de dollars en 2017-2018, 500 millions de dollars en 2018-2019 et 1 milliard de dollars en 2019-2020.  Les fonds seront versés à PPP Canada pour appuyer des investissements dans des P3 même si le vérificateur général de l’Ontario a conclu dernièrement que les projets ontariens réalisés en P3 comportent beaucoup de gaspillage, font l’objet d’une reddition de comptes douteuse, ne sont pas transparents et laissent au gouvernement de coûteux éléments de passif.

Le budget de 2015 promet de ramener le taux d’imposition des petites entreprises de 11 % à 9 % d’ici 2019, à un coût qui atteindra 3,4 milliards de dollars en 2019-2020.  Le budget de 2008 a ramené le taux d’imposition des petites entreprises de 12 % à 11 % et il a porté le plafond de revenu assujetti à ce taux réduit de 400 000 $ à 500 000 $ en 2009.  Le budget de 2013 a haussé l’exonération cumulative des gains en capital au titre des actions des petites entreprises admissibles et il a indexé la limite à l’inflation.     

En dernier lieu, le gouvernement accroîtra les dépenses de la Défense nationale de 12 milliards de dollars au cours d’une période de 10 ans commençant en 2017-2018.

Équilibre budgétaire

Le gouvernement prévoit un excédent budgétaire de 1,4 milliard de dollars pour 2015-2016.  Le ministre des Finances Oliver a atteint ce résultat en réduisant le fonds de prévoyance, en vendant les actions que le gouvernement du Canada détenait dans General Motors et en portant au Trésor l’excédent du Compte des opérations de l’assurance-emploi.

Il est prévu que les dépenses de programme directes recommenceront à augmenter après quatre années consécutives de diminution, mais les sommes inutilisées par les ministères demeurent élevées ; le budget de 2015 prévoit que 6 milliards de dollars affectés dans les budgets des ministères demeureront inutilisés.

Le gouvernement conservateur propose d’adopter une loi sur l’équilibre budgétaire qui gèlerait automatiquement les budgets de fonctionnement en cas de déficit, alors précisément que les gouvernements devraient dépenser davantage pour compenser la contraction plus grande de l’activité économique qui se produit au cœur d’une récession.

Investissement et création d’emplois

Le budget de 2015 n’annule pas l’élimination de 40 000 emplois de la fonction publique et des sociétés d’État fédérales qui a été imposée depuis 2010.  La Société canadienne des postes et la Société Radio-Canada brillent par leur absence dans le budget.  Les différentes mesures destinées à améliorer les services aux anciens combattants rétablissent environ 200 des 950 années-personnes de prestation de services aux anciens combattants éliminées par le gouvernement conservateur.

Plutôt que de comporter une création directe d’emplois, le budget de 2015 compte sur les allégements d’impôt pour créer des emplois, ce qui a un effet beaucoup plus faible sur l’emploi.  Le crédit pour l’emploi visant les petites entreprises, annoncé en septembre 2014, réduit les cotisations à l’AE des entreprises admissibles mais ne créerait que 800 emplois en 2 ans, selon le directeur parlementaire du budget.  Cela n’empêche pas le budget de 2015 de promettre des réductions du taux de cotisation à l’AE à partir de 2017, après un gel de trois ans.

Le budget annonce en outre une déduction pour amortissement accéléré de 50 % pour 10 ans à l’égard des machines et du matériel de fabrication et de transformation.

Plutôt que d’améliorer l’accès des sans-emploi aux prestations d’AE, le budget portera au Trésor l’excédent au Compte des opérations de l’AE (3,4 milliards de dollars en 2015) et les cotisations baisseront de 21 % en 2017.

Actuellement, les prestataires peuvent garder 50 cents de leurs prestations d’AE par dollar qu’ils gagnent, jusqu’à concurrence de 90 % de leur rémunération hebdomadaire assurable.  Le budget de 2015 affecte 54 millions de dollars en deux ans à la prolongation jusqu’en août 2016 du projet pilote relatif au travail pendant une période de prestations. La période des prestations de soignant de l’AE passera de 6 semaines à 6 mois.

Le budget de 2015 ne prévoit que peu de nouveaux investissements dans l’éducation et la formation professionnelle.  Le gouvernement s’engage à continuer à collaborer avec les provinces et les territoires pour renégocier les ententes sur le développement du marché du travail (EDMT) et harmoniser la formation en apprentissage et la reconnaissance professionnelle dans les métiers désignés Sceau rouge.  Le gouvernement a manqué l’occasion d’exiger que les employeurs financés grâce au nouveau Fonds Chantiers Canada et dans le cadre du programme Investissement dans le logement abordable engagent et forment des apprentis.

Le budget rend admissibles au Programme canadien de bourses aux étudiants les personnes inscrites à des programmes de courte durée et il apporte de petites modifications au Programme canadien de prêts aux étudiants mais il ne prévoit aucune mesure pour contrer les droits de scolarité élevés et les hauts niveaux d’endettement étudiant.

Le budget de 2015 annonce le renouvellement pour 5 années du Fonds pour les compétences et les partenariats des Autochtones, annoncé dans le budget de 2010, et l’affectation de 210 millions de dollars en 5 ans à ce fonds.  Le budget annonce aussi de petites réaffectations de fonds pour appuyer la création d’un portail d’information sur le marché du travail, la mobilité de la main-d’œuvre immigrante et jeune et un projet pilote de prêts pour la reconnaissance des titres de compétence étrangers.

Dépenses des programmes sociaux

Le budget de 2015 est remarquablement silencieux au sujet des défis que le Canada doit relever dans le domaine des soins de santé.  Il maintient l’engagement du gouvernement à ramener l’augmentation du Transfert canadien en matière de santé de 6 % au taux de croissance du PIB (avec un minimum garanti de 3 %), ce qui amputera le budget des soins de santé d’une somme pouvant atteindre 36 milliards de dollars.  Il ne mentionne pas le besoin de négocier un nouvel accord de financement avec les provinces, ni le besoin d’une assurance-médicaments ou d’un programme de coordination des achats de médicaments et il ne comprend aucune mention d’une stratégie sur les aînés du Canada ou des besoins en soins de longue durée d’un Canada vieillissant.  Cependant, le gouvernement annonce une affectation de 42 millions de dollars échelonnée sur cinq ans à la création du Centre canadien d’innovation sur la santé du cerveau et le vieillissement et une affectation de 14 millions de dollars en deux ans à une aide ciblée à l’innovation dans les systèmes de santé.  Le gouvernement s’engage à renouveler le mandat de la Commission de la santé mentale du Canada pour 10 autres années.  Au chapitre de la sécurité de la retraite, le budget néglige le besoin de bonifier les pensions publiques des travailleurs et travailleuses du Canada. Il réduit plutôt le montant minimal qui doit être retiré des fonds enregistrés de revenu de retraite chaque année quand les détenteurs de REER atteignent l’âge de 71 ans.  Cela sera favorable aux membres de la génération du baby-boom qui ont des REER mais n’aidera guère les travailleurs et les travailleuses qui n’ont pas actuellement les moyens d’épargner dans des REER.  Environ le tiers des personnes qui y sont admissibles cotisent actuellement à des REER, et les droits de cotisation inutilisés comptaient pour 790 milliards de dollars en 2013.  Dans le cadre des mesures qu’il prévoit pour les anciens combattants, le budget instaure une nouvelle allocation de sécurité du revenu de retraite pour les anciens combattants handicapés qui leur garantirait après l’âge de 65 ans un remplacement de revenu au niveau d’avant leur départ à la retraite.  Le gouvernement maintient son engagement à étudier la possibilité d’établir des régimes à prestations ciblées dans le secteur privé sous réglementation fédérale et les sociétés d’État.

Au lieu d’un véritable programme sur les services de garde d’enfants, la population canadienne a obtenu le fractionnement du revenu de pension, la bonification de la Prestation universelle pour la garde d’enfants et une hausse de 1 000 $ de la déduction pour frais de garde d’enfants.      

Relations de travail fédérales

Malgré son engagement de pure forme à négocier de bonne foi avec les syndicats de la fonction publique, le gouvernement a signalé son intention d’aller de l’avant dans l’élimination de l’accumulation des congés de maladie et son remplacement par un régime d’assurance-invalidité à court terme.  Le budget de 2015 va même jusqu’à hypothéquer l’économie que permettrait de réaliser cette mesure prévue en imputant 900 millions de dollars aux recettes publiques pendant l’année financière en cours.

Le budget propose une série de mesures, sans en préciser le détail, pour réformer le Code canadien du travail.  Le gouvernement entend proposer des amendements pour voir à ce que les stagiaires puissent jouir de protections en matière de santé et de sécurité et pour préciser les circonstances dans lesquelles des stages non rémunérés peuvent être offerts.  Après avoir adopté des amendements importants à la Partie II du Code canadien du travail en 2013, le gouvernement propose, dans le budget de 2015, de réengager 10 agents de santé et de sécurité pour assurer la conformité au Code.  De plus, le gouvernement fédéral promet de proposer des amendements au Code pour traiter de violence et de harcèlement sexuel dans les milieux de travail du secteur privé sous réglementation fédérale.

Le  gouvernement proposera des modifications supplémentaires au Code afin de prévoir de nouveaux congés non payés à court terme et à long terme pour les responsabilités familiales et une augmentation du congé de deuil pour permettre aux employés de mieux concilier leurs obligations professionnelles et leurs obligations à titre d’aidants naturels.  Au cours de plusieurs tours de négociation avec les syndicats de la fonction publique fédérale, le Conseil du Trésor a tenté d’incorporer différentes dispositions sur les congés en une seule banque (réduite) de congés.  C’est peut-être ce que le gouvernement entend faire dans le cas des travailleurs et travailleuses assujettis au Code.

Environnement

Conformément au bilan du gouvernement conservateur en matière d’environnement, le budget ne prévoit presque rien pour la protection de l’environnement.  Il ne comprend même pas une seule mention des changements climatiques.  Dans une petite section intitulée « Protéger l’environnement du Canada », le gouvernement s’engage à « continuer » ou à « renouveler », grâce à des affectations complémentaires, l’aide à la mise en œuvre de la Loi sur les espèces en péril, la Fondation du saumon du Pacifique, le Programme de partenariats relatifs à la conservation des pêches récréatives, le Plan de gestion des produits chimiques, le Plan d’action pour les sites contaminés fédéraux et les services d’avertissements météorologiques et de navigation dans l’Arctique.

Le gouvernement ne présente pas de plan global pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, honorer nos engagements internationaux relativement aux changements climatiques et assurer aux générations actuelles et futures de Canadiens et Canadiennes un environnement sain et sécuritaire.

Conclusion

Le budget de 2015 est le plus récent et peut-être le dernier des budgets d’austérité des Conservateurs qui ont conduit le Canada dans la voie de la croissance économique lente, de la dégradation de l’infrastructure et des services publics, de l’insécurité répandue sur le marché du travail et du transfert ascendant de la richesse et des revenus.  Ce budget réduit encore davantage la capacité fiscale de l’État canadien en manquant l’occasion de profiter des frais d’emprunt exceptionnellement bas pour investir dans la réponse aux besoins actuels et futurs des travailleurs et travailleuses.  En prolongeant le programme de l’actuel gouvernement qui consiste à affamer les services publics, à faire avancer la privatisation et à faire passer une plus grande part des ressources aux personnes dont les revenus sont les plus élevés, le budget de 2015 transmet le message que les travailleurs et les travailleuses ne peuvent guère espérer de l’aide et ne doivent s’attendre qu’à de l’austérité du gouvernement fédéral.  Il ouvre la voie au débat sur l’avenir du Canada qui aura lieu en octobre 2015.

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